Performance Sources, l’archive du Générateur (#33)

Vendredi dernier, le 27 janvier 2023, a eu lieu la cérémonie d’ouverture du site Performance Sources, qui propose la consultation en ligne d’une base de données documentaire relative à des performances artistiques contemporaines. J’ai eu l’agréable surprise d’être invité et cité dans la mise en œuvre de ce projet, l’occasion d’évoquer le cheminement qui a mené à cette mise en ligne depuis ses origines.

À l’origine, derrière Performance Sources, il y a Le Générateur. Il s’agit d’un lieu d’art et de performances situé à Gentilly (Val-de-Marne), à deux pas du 13ème arrondissement de Paris. Tout commence en 2006, lorsqu’Anne Dreyfus, danseuse et chorégraphe, et Bernard Bousquet, plasticien, reprennent les murs d’un ancien cinéma, avec l’aide de la ville, pour y installer un lieu d’expression artistique. Carton plein : le lieu s’est montré constamment actif tant pour accueillir des performances que des conférences, dans le cadre de festivals ou à leur initiative. Sur le site, pour évoquer ce qui se passe dans cet espace, on évoque de « multiples propositions singulières et souvent transdisciplinaires, ignorant les frontières et mêlant arts plastiques et spectacle vivant, écriture du geste et poésie du verbe ». Plusieurs centaines d’artistes y ont transité, et l’inscription du Générateur dans le paysage évènementiel à l’échelle de Paris et du Val-de-Marne est tout à fait remarquable compte tenu de la modeste équipe qui anime le lieu. L’exploit est même double, puisque le Générateur est tout de même parvenu à garder une autonomie et sa gestion demeure assurée par des artistes. De fait, ce n’est pas l’énergie qui manque ! C’est grâce à cet enthousiasme et cet entrain qu’est venu le temps de la réflexion sur la manière dont pourrait être mises en valeur les archives collectées au Générateur au gré des performances qui ont eu lieu en son sein. Déjà, depuis 2018, Performance Sources était défini comme une base de donnée dédiée aux archives de performances, résultat d’un programme de recherche soutenu par la Fondation de France.

Concert des Perroquets, Laurent Pascal Mai 2016 (PerformanceSources, Le Générateur)

Et c’est à partir de ce moment où je rencontre, au sens premier, Le Générateur et les ambitions de son équipe. Fin 2019, début 2020, à mi-chemin entre mon dernier stage de fin d’études et mon premier contrat à la Bibliothèque nationale de France, je travaille sur les d’œuvres d’art numérique qui y sont conservées. C’est un contexte crucial, puisque c’est à ce moment que j’ai été confronté à des documents inédits, spéciaux et requérant des contraintes spécifiques de conservation et d’exposition. J’étais là pour apprendre, et j’ai appris à accueillir n’importe quel type de document en bibliothèque et souscrire à l’utopie de tout conserver, à la BnF ou ailleurs. C’est dans ce contexte, donc, que Pauline, administratrice, et Clélia, chercheuse associée, viennent à notre rencontre dans les tours de la BnF. Je découvre l’histoire du Générateur qui, après avoir collecté de nombreuses traces de performances multiformes, souhaite mettre en ligne des captations et des documents ce tout ce qui s’est passé, sur des supports également multiformes. Cette première rencontre a permis de comprendre les attentes de l’équipe, la capacité d’action des protagonistes et de mettre au clair ce qui serait possible et ce qui ne le serait pas. En définitive, cette rencontre, très riche, a donné l’étincelle d’une idée et d’un intérêt qui, au fur et à mesure des nouvelles prises de contact, a pu accoucher d’un formidable résultat.

Oui, parce qu’au début de l’année 2020, tout allait à peu près bien. Les mois passent et le contexte ne nous a permis que d’échanger par téléphone pour connaître les choix qu’il serait judicieux de faire pour que ce projet puisse voir le jour. À la fin de l’année, je peux revenir au Générateur pour rencontrer (une autre) Pauline, archiviste audiovisuelle. C’est à ce moment que je suis confronté, avec elle, au corpus à définir, aux informations qui doivent apparaître dans la base de données constitué, à son format, au nommage des fichiers, leurs extensions, etc. En définitive, après la théorie est rapidement venue la pratique avec des choix arrêtés de manière pratique ou arbitraire afin d’obtenir la constitution d’une liste compacte. Par-delà les informations de toute cette documentation, vient la problématique du stockage : certaines captations sont volumineuses, les vidéos durent longtemps, il faut donc réaliser le site dans un écosystème léger et mutualiser le service de lecture des vidéos (ce qui sera fait).

En 2021, les échanges ont été rares, mais la machine était déjà bien lancée. Dans mes mails, pour documenter cet article, je retrouve un échange avec la Pauline archiviste audiovisuelle daté de mai 2021, dans lequel elle propose avec brio une méthode de nommage et une typologie des fichiers qui ont pour vocation à être intégrés dans Performances Sources. 2022, j’échange toujours avec Pauline, à des occasions un peu plus rares, mais pour parler du projet et de la vie en général ; c’est de cette manière que viennent, à mon sens, les meilleures idées. Puis, finalement, le 25 novembre 2022, la Pauline administratrice annonce le grand lancement du site internet Performance Sources pour le vendredi 27 janvier 2023, l’interface ne proposant qu’un décompte avant son ouverture. Ledit mail décrivait le projet en ces termes :

Cet outil numérique destiné aux chercheurs et aux universitaires regroupe plus de 500 œuvres, issues du fonds d’archive du Générateur et de 5 structures partenaires : le Centre Wallonie-Bruxelles, le CNEAI, l’École et Espace d’Art Camille Lambert, le Credac et la galerie J&J Donguy. Performance Sources se veut aussi être un outil de médiation ouvert au grand public qui permet d’affirmer la légitimité de la performance en tant que pratique éminemment contemporaine.

Cette dernière phrase est un pari et constitue l’essence de ce qui anime Le Générateur depuis la définition du projet en 2018 : documenter, d’abord, mais aussi et surtout contextualiser les performances. Au-delà de cette volonté de légitimer la performance, Performance Sources est un moyen de mieux la comprendre, d’autant plus lorsque les artistes en parlent directement, puisque des entretiens ont été réalisés (voir la rubrique « Les entretiens archives orales »). Cette légitimité qui concerne la performance et l’art contemporain de manière générale, peut se trouver sous cette forme documentaire : elle est un moyen de les rendre accessibles, tant au sens propre qu’au sens figuré. De fait, s’il y a bien un problème dont peut souffrir l’art contemporain, c’est de ne pas être compréhensible de prime abord par tous les publics. Une captation, un entretien, des photographies d’archives – et même un appareil critique multimédia (voir « Analyses et critiques ») – peuvent aider à situer l’œuvre ou la performance.

Lancement du site internet PerformanceSources sur une machine dédiée, Le Générateur, 27 janvier 2023 (photographie personnelle)

Archiver c’est catégoriser, étiqueter des œuvres qui par essence cherchent à échapper aux formats, à la reproduction, aux attendus. Comment faire, si l’on veut mettre à disposition de n’importe qui, n’importe où, n’importe quand, des œuvres insaisissables telles que des performances ? Voilà le paradoxe sur lequel s’est construit Performance Sources.
Page «À propos»

De l’après-midi du 27 janvier jusqu’au soir du 29 se mêlent performances, tables rondes et cycles de conférences autour du projet. Le site internet réussit l’exploit de garder une dimension artistique tout en proposant la consultation essentielle de la documentation. Ainsi, lorsque l’on accède à la page d’accueil, 4 mots-clés surgissent sur l’écran pour inciter la personne qui le visite à découvrir des performances au hasard. Une page dédiée fait même office de « Générateur de performances », afin que 3 mots-clés soient choisis au hasard et qu’une performance apparaisse. Le site internet, à l’interface épurée, utilise le système de gestion de contenu Kirby, léger et suffisamment modulable pour convenir aux attentes du Générateur. Le design de PerformanceSource maintient une certaine forme de continuité avec celui du site du Générateur, sur lequel on peut voir une banderole colorée afficher des messages-clés en en-tête, comme « Interroger la traçabilité et la mémoire des œuvres sans les limiter à leur format », ou « Reconnaître et soutenir le caractère fuyant, nomade de la performance » ; un véritable écho à :

PerformanceSources.com

Au moment de son lancement, le site propose la consultation de 380 œuvres, datées de 1982 à 2022. A terme, d’autres œuvres seront consultables, contemporaines ou non à la création du site. Dans ce riche catalogue, on trouve notamment Waves (2018) par les artistes AUBADJA, œuvre qui m’évoque Eaux d’Agnès Caffier (2009), autre d’art numérique découverte à la BnF dans le contexte décrit au début de l’article.

Waves, AUBADJA Déc. 2018 (PerformanceSources, Le Générateur)

En définitive, cette rencontre avec Le Générateur de Gentilly et ma modeste contribution dans le projet PerformanceSources m’a permis de mesurer à quel point ce lieu revêt plusieurs caractéristiques : il s’agit à la fois d’un lieu de résidence et d’expression pour les artistes et le spectacle vivant, mais aussi d’une antenne privilégiée de monstration pour la ville de Gentilly et pour le département du Val-de-Marne. La performance donnée à voir par le territoire, donc. Et pour conclure, je dois signaler que ce travail de documentation intrinsèque à la programmation des évènements a été titanesque ; il est encore plus impressionnant de mesurer la qualité du résultat final, réalisé par un lieu indépendant avec une équipe dont l’effectif demeurait modeste. Dans 5 jours, le 8 février 2023, aura déjà lieu un concert de musique électronique, avec la venue de Fennesz, dans le cadre du Festival Sons d’Hiver. Artiste de musique électronique et ambient, je m’étonne de le voir en France, mais je ne m’étonne pas de le voir au Générateur !

Alexandre Wauthier