Emile Mosseri (#38)

En ce moment, j’écris des articles en alternant histoire et musique, c’est un rythme de croisière adopté malgré moi, mais qui me plaît tant les sujets sont aussi différents qu’intéressants. J’ai quelques brouillons qui concerne l’histoire, mais qui demandent beaucoup de temps d’étude et de rédaction. J’en ai encore plus pour ce qui est de la musique, de nombreux artistes méritent qu’on parle d’eux. Aujourd’hui vient le tour d’Emile Mosseri, compositeur de musiques de films qui s’est laissé à quelque liberté créatrice, sortant progressivement d’un rôle jusqu’ici trop bien assigné.

Emile Mosseri est un musicien né le 11 août 1985 à Boston (États-Unis). En réalité, il réalise ses premières expériences musicales avec le groupe new-yorkais The Dig, resté confidentiel malgré une activité constante durant les années 2010. Mosseri à la basse, il chante et fait ses premières armes avec ce groupe de rock indépendant. Sa voix se savoure dans des titres comme le volontairement mal nommé Break the Silence, ou encore Nothing in This Town. En août 2017, il réalise une collaboration intéressante avec le El Ten Eleven, matérialisée sous le forme d’un E.P. intitulé Unusable Love et composé de 4 titres, dont l’éponyme est très intéressant. La dernière parution de son groupe The Dig est un E.P. en 2018 ; puis plus rien. En 2019, riche de cette presque-décennie d’apprentissage, le musicien publie, sous son seul nom, la bande originale de The Last Black Man in San Francisco, dont la qualité d’exécution n’est encore remarquée que de manière trop confidentielle, certes, mais suffisante pour qu’il remporte le prix du Meilleur compositeur émergent aux World Soundtrack Awards. Dans une interview, il évoque l’influence décisive de la musique du film Edward Scissorhands – Edward aux mains d’argent – , composée par Danny Elfman pour le film sorti en 1990 (Lakeshore Records). Produit par Brad Pitt, ce film dramatique traite de la gentrification dans la ville californienne. Sa musique fait de Mosseri un compositeur de nombreuses pièces courtes, très symphoniques et épurées, à l’exception de San Francisco (Be Sure to Wear Flowers in Your Hair), reprise de Scott McKenzie. L’album est composé de 26 titres pour un total de 46 minutes d’écoute : il y a beaucoup d’idées vers lesquelles la créativité de Mosseri va s’orienter au gré des projets dans lesquels il sera impliqué. Dans ce concentré, j’y ai notamment trouvé Rock Fight (qui rappelle Wim Mertens), Driving Home with Stolen Treasures et Montgomery’s Theme. En mai 2020, il signe la musique de la série Homecoming, avec quelques titres intéressants, dont The Giant, le suivant Suddenly Temple, Calico’s Needle et le denier Calico Reprise.

En septembre 2020, il s’occupe de la bande originale de Kajillionaire , avec un registre flirtant davantage avec le minimalisme. Le style est épuré et planant, les compositions sont entre pop et musique classique, ce qui me rappelle celles d’un Stelvio Cipriani, notamment Emily’s Studio (version pop). C’est l’un de mes albums préférés, en un peu plus de 30 minutes, on entend ce dont Mosseri est capable de produire. La bande originale s’ouvre et se clôt avec amour : Love Theme et Our Love. À ce jour, le morceau Rile Me Up est mon préféré de lui (à en croire Last.fm). Il en profite d’ailleurs pour collaborer avec Angel Olsen sur le titre Mr. Lonely, reprise du classique de Bobby Vinton.

En 2020 : moment pour Mosseri, avec la sortie du film Minari de Lee Isaac Chung, dont il compose la musique. Le film sort aux États-Unis au début de l’année 2020, mais ne paraîtra sur les écrans français, belges et suisses qu’à partir de juin 2021. L’album de la bande originale paraît en février 2021. La musique du film est une véritable œuvre d’art à part entière, bien qu’elle apporte une profondeur émotionnelle et une dimension supplémentaire à l’histoire captivante du film. Comme pour celle de The Last Black Man in San Francisco, la musique de « Minari » est profondément enracinée dans le thème central du film, explorant l’expérience de l’immigration, les défis sociaux – a fortiori familiaux – et les rêves poursuivis avec détermination. Elle reflète la dualité des sentiments entre l’ancien et le nouveau, la tradition et l’innovation. C’est justement dans cette transition changeante que s’accorde le mieux l’instrument de Mosseri.

Fort du succès du film, sa musique a reçu une nomination aux Oscars dans la catégorie de la meilleure musique de film. Je conseille d’écouter la demi-heure entière composant la bande originale de Minari, peu importe si vous avez déjà vu ou non le film. L’intro ci-dessus donne déjà des frissons. La vidéo ci-dessus est une interprétation libre par Mosseri, il existe aussi des versions de Garden Of Eden et Minari Suite. En version chantée par Yeri Han, un beau clip de Rain Song a vu le jour.

Pourtant, la maîtrise de la composition musicale à destinations des œuvres cinématographiques ne suffit pas à Mosseri. Délaissant un peu l’acoustique, il s’intéresse davantage à l’électronique en collaborant, en septembre 2021, avec la compositrice Kaitlyn Aurelia Smith. Proche de la scène ambient et new age, je connaissais déjà son travail (en particulier Carrying Gravity) et avait été agréablement surpris par cette collaboration entre deux musiciens que j’apprécie et dont je ne pouvais m’attendre à ce qu’un rapprochement puisse prendre une quelconque forme que ce soit. D’ailleurs, les deux artistes avouent eux-mêmes avoir initié ce travail à deux en se parlant sur internet (Flood Magazine). Voilà donc le fruit de ce travail commun : la sublime vidéo ci-dessus, et avec elle, un EP entier : I Could Be Your Dog (Prequel), complété en mai 2022 par une suite formant un album : I Could Be Your Moon. Cette nouvelle facette de Mosseri témoigne de la curiosité de son oreille. À quoi bon les honneurs de Minari ? Mieux vaut expérimenter ! Début 2023, il reprend du service dans le monde du cinéma avec la bande originale de When You Finish Saving the World. Passée inaperçue, cette OST comporte toutefois quelques courts éléments dignes d’intérêt, à l’instar de Mouth of a Liar et These Things Are Separate.

Une surprise peut en cacher une autre : le 9 juin 2023, après la sortie de quelques extraits ça et là, Emile Mosseri sort son premier album solo Heaven Hunters. J’avais un brouillon d’article sur Mosseri, cette nouvelle parution, dans l’ère du temps, est un prétexte pour le sortir maintenant. Produit par Haxan Cloak, l’album dure un peu moins de 30 minutes et devient, d’emblée, nouvelle aventure musicale dans laquelle nos oreilles se plongent. Le premier titre est une entrée en matière, rappelant sa collaboration avec Kaitlyn Aurelia Smith. Les deux titres suivants étaient apparus sous forme de singles, d’abord Oklahoma Baby, dont le grand écart du piano apporte une touche de folie. My Greedy Heart, dont j’ai affiché le clip ci-dessus, fait apparaître l’utilisation d’une guitare. Du rock indé, avec une production très soignée. Le timbre aigu de la voix de Mosseri peut dérouter, je trouve qu’elle essaie de s’accorder à la légèreté des instruments qui l’accompagne. J’avais oublié de le mentionner au début de ce paragraphe : Greedy Heart, c’est aussi le nom du label sur lequel l’album est signé. Je recommande, comme pour Minari, l’écoute exhaustive de cet album, tant les ambiances sont intéressantes. Il y a de quoi satisfaire tout le monde. J’ai une préférence pour les deux derniers morceaux : les rythmes et les intensités changeant dans In The Shadows et la délicatesse passionnée de Rosewater, aucun titre n’aurait pu mieux conclure l’écoute de cet album qui, je l’espère sincèrement, connaîtra un grand succès. Après quelques écoutes, Heaven Hunters me rappelle ce que le groupe Menomena avait proposé en 2003 – 20 ans déjà – à travers l’album I Am the Fun Blame Monster.

Enfin, outre ses commandes de musiques de film et tous ses albums officiels, il évolue dans un écosystème musical foisonnant : sur la compilation Sound Wonders : A Series of Epics, il offre You’ve Got That Cowboy Spark, titre échoué qui aurait pu figurer dans une OST. Dans cette aventure humaine, il croise notamment le chemin d’Elori Saxl (à découvrir urgemment) ainsi que la harpiste Mary Lattimore. Une trace musicale est à disposition sur le Bandcamp de Mosseri (ainsi que quelques photos ici) :

Emile Mosseri and Friends – Holiday Special, mise en ligne sur YouTube. Sur son site internet, Emile Mosseri annonce, dans le dernier paragraphe de sa page « À propos« , reprendre du service en tant que compositeur de musique de film, cette fois-ci pour le projet Mr. and Mrs. Smith, animé conjointement par Donald Glover, Hiro Murai et Francesca Sloane.

En définitive, les compositions réalisées dans les films pour lesquels il est sollicité sont délicates, émotionnelles et atmosphériques. La musique de Mosseri apporte souvent une dimension supplémentaire aux films qu’il accompagne, créant une ambiance calme et une profondeur émotionnelle pour les spectateurs. Dans une vidéo-interview intitulée In the Studio with Emile Mosseri (2022), l’intéressé évoque son intention créative de prendre un son familier pour mieux se le réapproprier d’une manière surprenante, avec de nouvelles sonorités. Je crois que tout le génie de Mosseri se trouve enfermé dans cette phrase (sans doute mal traduite, mais la preuve est là). La partition musicale est un subtile mélange d’instruments acoustiques et électroniques, délicat et immersif, s’accordant parfaitement avec l’atmosphère du récit. La musique accompagne les moments intimes, les moments de joie et les moments de tension. En écrivant cet article, j’ai été surpris par le nombre de fois où le mot « love » apparaît, que ce soit dans ses interviews, dans ses textes ou même dans les titres de ces morceaux. Un florilège subjectif :

Emile Mosseri (Sélections)

Photographie de l’article : Mary Lattimore with Special Guest Emile Mosseri – 03/21/2022 (19/33, source)

Alexandre Wauthier