IOSONOUNCANE (#22)

À l’occasion de la sortie de son troisième album, il est temps de parler du groupe musical IOSONOUNCANE (« je suis un chien », avec des majuscules et sans espace). Né en 1983 et originaire de Buggerru, en Sardaigne, l’artiste italien semble désormais vivre et travailler à Bologne. De son vrai nom Jacopo Incani — ce qui explique le jeu de mot canin — , le musicien indépendant à l’origine du groupe montre un certain talent dans la production (de Bruno Germano) et de l’instrumentation des pièces qu’il propose. Il publie un premier album en 2010 chez Trovarobato, manifeste annonçant pêle-mêle ses ambitions et sa manière singulière de façonner la musique.

Cinq ans plus tard apparaît son deuxième album DIE, également sur le même label ; œuvre ambitieuse et beaucoup plus structurée, dont la forme épouse celle d’un concept album que l’on savoure en l’écoutant d’une seule traite (testé et approuvé à vélo). J’ignore comment, mais j’avais découvert en cet album octobre 2016. L’ambiance qui s’en dégage est lugubre, dans laquelle, dès le début, une voix stridente poignarde l’atmosphère brouillée. Après le mastodonte TANCA vient le deuxième morceau STORMI, qui semble être un réveil en douceur après le cauchemar installé par le premier. Tout au long de l’album, on perçoit la peur de l’homme vis-à-vis des éléments : peur de la mer, peur du soleil, peur de la terre. Digne d’un livre audio de Cesare Pavese narré par Maldoror, le voyage infernal se poursuit, avec la présence constante de deux voix qui gémissent : l’une masculine, très grave, l’autre féminine, beaucoup plus légère. Une très riche documentation est disponible, en italien, sur le webzine re:cover, mobilisant Silvia Cesari, photographe, et Rocco Marchi, graphiste.

Ce qui interpelle, c’est la qualité et la richesse de la composition pour un artiste indépendant encore peu connu. Différents genres et styles sont mobilisés, avec une structure globalement rock teintée d’éléments électroniques. À ce sujet, le compte Instagram de IOSONOUNCANE nous renseigne sur les riches influences musicales. On y trouve à la fois Can, Swans, Robert Wyatt, Pink Floyd, Nick Cave etc. Concernant les influences strictement italiennes, Lucio Battisti, Francesco Guccini ou encore C.S.I., semblent prendre une part prégnante dans les influences d’Incani. C’est grâce à STORMI, le morceau le plus mignon de l’album, que le groupe a pu se faire connaître. Un EP contenant plusieurs remixes du morceau est même sorti, en août 2016, dont celui de K-Conjog, remarquablement exécuté. Il est également crédité sur un morceau de Colombre :

En mai 2021 paraît IRA, après une annonce de sortie ainsi qu’une tournée repoussée en 2020. L’album est ambitieux : il est composé de 17 titres et dure 1h50 ! Si j’écris cet article, c’est parce qu’après avoir passé plusieurs mois à le digérer, je le trouve autant intéressant que le précédent. La structure est beaucoup moins disciplinée que DIE, bien que l’ambiance qui se dégage d’IRA soit familière. Ce qui est également déroutant, c’est le changement abrupt de rythme au milieu d’un titre, rendant l’écoute confuse : « ai-je apprécié ce morceau, ou non ? ». Certains climax musicaux rappellent les longs morceaux chamaniques de Swans, dans leurs albums des années 2010 (les dix dernières minutes d’Apostate). Le morceau prison montre cette influence ainsi que la scission musicale évoquée, idem pour ashes.

Autre aspect déroutant : lorsqu’on adhère au paysage musical d’un morceau et que l’on tente de fredonner les paroles, on est tenté de les trouver sur internet pour mieux les connaître. Par exemple, pour le horizon, les paroles sont un alliage cohérent d’anglais, d’espagnol, d’arabe et de français, à raison d’un ou deux mot par langue : « How long por el ciudad seen?
Rising el rajul oublié ». Il s’agit donc là d’une nouvelle manière d’appréhender les paroles, entretenant encore plus l’aspect déroutant de l’album.

Pourtant, la composition musicale et le génie de la production que IOSONOUNCANE avait laissé en héritage 6 ans auparavant avec DIE est toujours là, sous une forme beaucoup plus étirée. On retrouve l’attrait pour la structure rock fortement agrémenté d’éléments électronique. Certains morceaux atmosphériques sont même remarquablement exécutés, à l’instar de piel, où nos oreilles sortent du marasme et prennent un vent frais à partir de 3 min 49. Ainsi, l’album peut être appréhendé sous n’importe quel angle, avec n’importe quelle lecture. Chaque personne qui l’écoutera pourra faire son opinion. Quoiqu’il en soit, IOSONOUNCANE est une formation très novatrice et ses expérimentations sont jusqu’au-boutistes. Dans la scène indépendante italienne, on trouve aussi Andrea Laszlo de Simone, dont l’album Uomo Donna (2017), plus mélodieux et romantique, témoigne d’une grande qualité de production.

Inconsciemment, cette démarche consistant à mettre les productions de musique électronique au service d’une base pop-rock m’évoque le travail précurseur de Franco Battiato. Disparu cette année, son premier album Fetus (enregistré en 1971, paru en 1972) pose, en 30 minutes, les bases de la pop électronique et expérimentale. Battiato n’est pas Sarde comme Incani, il est Sicilien, mais leur musique semble être reliées par un pont long de 50 ans.

Instagram @IOSONOUNCANE
- iosonouncane.bandcamp.com/
- instagram.com/iosonouncane
- it.wikipedia.org/wiki/Iosonouncane
- europavox.com/fr/bands/iosonouncane/
- discogs.com/artist/2324820-IOSONOUNCANE
- benzinemag.net/2021/07/28/iosonouncane
- lacaduta.tumblr.com/post/127554260198/intervista-iosonouncane
- recoverzine.altervista.org/intervista
- listonemag.it/

(image de couverture : Silvia Cesari – re:cover, 26 juillet 2016)

 

Alexandre Wauthier