Park Jiha 박지하 (#34)

En m’imaginant écrire cet article, je repensais à un album de Moondog, intitulé A new sound from an old instrument. C’est peut-être ce qui caractérise la volonté de la musicienne dont il sera question ici : faire dire à de vieux instruments des paroles nouvelles. Cela fait presque exactement un an que je souhaitais écrire à propos de cette artiste. En février, 2022, Park Jiha 박지하 sortait son troisième album,The Gleam. Il n’est jamais trop tard pour parler d’artistes musicaux dont l’esthétique est unique, c’est le cas ici. Park Jiha 박지하 est une musicienne sud-coréenne, compositrice et multi-instrumentiste, qui a la particularité d’utiliser de nombreux instruments traditionnels coréen pour obtenir un rendu singulier, minimaliste et très aérien. On peut notamment citer trois instruments de prédilection : le yanggeum, le saenghwang et le piri (elle en joue sur la photo ci-après). Le premier est un instrument à cordes frappées proche de son voisin chinois le yangqin, le deuxième est un instrument à vent constitué de 17 tubes de bambou (semblables au sheng et au shō, que l’on trouve au Japon, tandis que le troisième est aussi un instrument à vent (proche du hichiriki japonais et se rapprochant des hautbois européens). Elle semble avoir réalisé sa formation musicale au Centre national de Gugak ; gugak 국악 mot signifiant « musique traditionnel coréenne » (source).

Avant d’avoir 3 albums solos à son actif, elle a fait ses premières armes dès 2010, dans le projet musical 숨 [suːm], en duo avec Seo Jung-min (서정민), joueuse de gayageum, autre instrument traditionnel similaire à une cithare à douze cordes. Le premier album vit donc le jour en 2010, le second en 2014. Difficile de mettre la main sur ces premières parutions, le second album est toutefois disponible sur Apple Music, sur lequel plusieurs morceaux, dont Innermost Encounter III, montrent l’étendue de la création musicale que Park Jiha est capable de proposer. Le duo produit une musique très proche de la musique de court coréenne, limpide, méditative et acoustique.

Image : Théâtre des Bouffes du Nord (2018)

Sa carrière solo prend forme un an plus tard, avec l’EP intitulé A Record Of Autobiographical Sounds, contenant le prometteur Borrowing Scenery. En 2016, elle fait paraître, en Corée, son premier album Communion. Toutefois, celui-ci ne connaîtra un véritable écho que deux ans plus tard, lorsqu’il fut édité en Allemagne, sur le label tak:til. Ce pied posé en Europe a permis de faire connaître le travail de Park Jiha, notamment grâce à la presse musicale spécialisée qui fit des critiques élogieuses de l’album, comme le mentionne la page Wikipédia de l’artiste, sourçant les articles enthousiastes (The Quietus, The Guardian, Pitchfork. On découvre déjà les nombreuses possibilités que revêtissent le jeu de Park Jiha : des sonorités familières et douces, mais à la rythmique imprévisible, avec ce timbre fait-maison comme si les cordes étaient carréssées ou battues juste à côté de nos oreilles. Les morceaux Accumulation of Time 시간의 축적 et Sounds Heard From The Moon 달에게서 전해 들은 소리  font partie de mes favoris.

Vient ensuite l’album Philos, sorti en 2018 sur le label coréen Mirrorball, puis commercialisé en vinyle sur le label allemand Glitterbeat. Mirrorball est connu pour faire paraître des albums de musiciens indépendants aux styles expérimentaux et liés à l’électronique, comme Yukari en 2012 et Gongjoong Doduk en 2015. Cette seconde diffusion en Europe assure à Park Jiha une audience confidentielle, mais déjà conquise par le premier opus. Philos, dont la pochette a, cette fois, des tonalités vertes, est l’album qui m’a le plus impressionné jusqu’à présent. Des sonorités menaçantes et industrielles, des ambiances jazz molletonnées, ou bien des percussions abrasives sur un yanggeum exsangue : la variété de ce que l’on entend dans cet album montre la capacité de Park Jiha à explorer un univers musical encore jamais visité. Parmi tous ces titres, je ne retiendrai que When I Think Of Her, dont l’atmosphère solennelle peut faire vibrer l’âme. C’est un morceau qui a aussi la particularité de mobiliser la voix pour accompagner la gradation :

En février 2022, donc, puisque je l’évoquais au début de cet article, paraissait son troisième album solo, The Gleam, toujours sur le label Glitterbeat. Après quatre ans d’attente, de nouveaux mondes musicaux sont à explorer, les instruments traditionnels étant une source intarissable de découvertes lorsqu’ils sont animés par Park Jiha. Par-delà l’audio, on trouve aussi des vidéos, comme le clip ci-dessous, et, pour ce qui concerne ce troisième album, le clip de Light Way 박지하. Tout aussi réussi que son prédécesseur, cet album contient de nombreuses voix musicales à explorer. Ma préférence s’arrête sur le morceau A Day In…

Il existe un quatrième album, légèrement à la marge de ce que la musicienne a fait paraître jusqu’ici : une collaboration dans laquelle les morceaux de Park Jiha déjà parus accompagnent la poésie de Roy Claire Potter, avec le remarquable Yanggeum for snapped ankle. Enfin, dans une interview accordée à Visla, à la question « Dans quel genre de musique souhaitez-vous que l’on se souvienne de Park Jiha ? », l’intéressée répond : 사람다운 음악, 아름다운 음악 – « Une musique humaine, une belle musique ». Tout est dit ici, l’humilité des instruments, de la personne qui en joue et des sons qu’ils délivrent ont un bel avenir avec cette parole simple, mais essentielle.

Photographie : Oserin 오세린 (Visla.kr, 2022)

 Park Jiha 박지하 (Sélections)

Edit 1er mai 2023 : je réécoute l’album Haleakala (1972 !) de Deuter – sur qui je dois écrire un article depuis déjà plusieurs années – et je réalise à quel point le morceau Just for this moment me rappelle les compositions de Park Jiha :

Sources

 

Alexandre Wauthier