Noël Nouët, Le Parfum des troènes (extraits)

Ces extraits du recueil Le Parfum des troènes (Garnier, Paris, 1930) se réfèrent à l’article

Noël Nouët, poète (#39)

LA LUNE SUR LES FLEURS

Dans les nuits de printemps sereines et moelleuses,
Au moment où les vents sont assoupis au loin
Et que flotte au hasard une vapeur laiteuse
Oui caresse la terre et ne l’accable point,

Après des jours dorés qu’une soudaine pluie
A mouillés un instant aux approches du soir,
A l’heure de la paix, quand le veilleur s’appuie
A son balcon, le cœur plein de vagues espoirs,

Partout, dans les jardins étroits des grandes villes,
Dans les parcs où l’on voit des marbres sur le sol,
Dans les vergers des bourgs, dans les vallons tranquilles
Où jaillissent les chants graves des rossignols,

La lune, parvenue à sa forme parfaite,
Coule ses rayons blancs sous les arbres obscurs
Et va faire en secret des visites muettes
Aux fleurs qui n’ont encore entrevu que l’azur.

Les bouquets délicats, faits des pétales frêles,
Sourient, mystérieux, avec complicité.
L’accord est si subtil, la rencontre si belle !
L’ombre toute la nuit est pleine de clartés!

 

EN MAI

A Pierre de la Batut.

Quand, les matins de mai, je marche dans les bois
J’aime que tout bruisse et danse autour de moi.
Tandis que les ruisseaux poursuivent leurs voyages,
L’air vagabond tourmente en riant les feuillages.
Sous le bourdonnement des chercheuses de miel
Les cimes des tilleuls ondulent dans le ciel.
Le soleil caressant s’allonge sur les pentes
Et pousse entre les troncs ses marbrures changeantes.
Un écureuil bondit, un oiseau noir discourt.
Je m’avance de carrefour en carrefour
Sans fin, comme emporté par des battements d’ailes.
Mieux que le forgeron entouré d’étincelles,
Que le chasseur pressé par ses chiens bondissants
Je me grise à ces jeux de l’été renaissant.

 

NOSTALGIE MARINE

A René Quillivic.

Flots verts, je vous évoque en rêvant ce matin,
Assis dans la bruyère au pied des noirs sapins.
O mer de mon pays, mer glauque, je t’appelle
Dans le vent d’occident dont l’espace ruisselle,
Ce vent qui fauchant l’herbe et qui, ployant là-haut,
Les branches, leur arrache un bruit de grandes eaux,
Ta plainte ou ta chanson farouche, mer aimée !
Ah! C’est en surprenant ce bruit dans les ramées
Que j’ai senti soudain comme un autre homme en moi.
Allons, je n’irai pas plus avant dans les bois,
Je ne tirerai pas mon livre de ma poche.
Ces mille voix, ces cris de joie ou de reproche
Qui par-dessus les monts arrivent de si loin
Réveillent tout au fond de mon cœur un besoin
J’ai besoin de la mer ! Accours, souffle, fais rage,
Toi, vent ! Perce la nue avec tes bonds sauvages !

Que les pommes de pin roulent sur les rochers !
Te veux rester ici dans mon manteau couché
Et je ferme les yeux pour mieux voir et j’écoute.
Ah ! bruissez, rameaux ! Que votre lourde voûte
Se rompe, se reforme et se déchire encor!
Que l’air impétueux, dont vous brisez l’essor,
Gémisse longuement à travers vos aiguilles !

Je vois des récifs noirs et des algues qui brillent.
Une vague naît, s’enfle et se courbe et s’abat.
Te la vois, je la sens et sur les galets plats
L’écume s’épaissit comme une neige amère.
Une autre vague ! une autre ! Ah ! que la grève est claire !
Que l’horizon est pur sur les flots agités!
Beaux matins d’autrefois ! Radieux jours d’été!
Ma poitrine se gonfle et mon cœur bat plus vite.
Du milieu de l’azur le vent se précipite,
Il me frappe, il m’emporte et me voici roulant
Au-dessus de la mer ainsi qu’un goéland !

 

LE VOYAGEUR AU TERME DU VOYAGE

A Ernest Raynaud.

Quel soir délicieux ! Quel pénétrant silence !
Après tant de chemin par des plaines immenses,
Une attente si longue et des doutes si durs,
J’arrive donc au seuil des pas de l’azur!
Je ne me souviens plus qu’à peine de ces heures
Où j’allais sans répit de demeure en demeure,
Emportant seulement comme au fond de mes yeux,
L’image d’un vallon natal, mystérieux !

Oui, j’ai vu des cités, des forêts, des rivages.
Les chants d’un peuple en fête aux portes d’un village
Sont venus jusqu’à moi… Des cloches ont sonné..
J’allais, j’allais toujours vers mon rêve, obstiné,
Et le chemin de fer frôlait des églantines.

Mais, à l’air qui soudain a gonflé ma poitrine,
J’ai su que j’approchais du terme. Et cette fois
Une calme splendeur emplit ce que je vois.
Équilibre suprême ! Ordre, force, harmonie !
Je m’arrête, comblé d’une paix infinie
Et je regarde fuir en un tourbillon noir
Le train qui m’a permis d’atteindre à mon espoir.
Son bruit décline, il sombre en la nuit qui commence,
Et je ne ressens plus pour lui qu’indifférence,
Pour lui qui jusqu’ici m’était si précieux !
Je suis au terme. Et lui, cherche encor d’autres cieux.
Qu’il coure vers des buts que j’ignore, qu’il mène
D’autres hommes errants vers des rives lointaines !

Je voudrais être sûr que mon âme, à la mort,
Ne souffrira pas plus quand s’en ira mon corps!

A CELLE QUI S’EN EST ALLÉE

« Lorsque nous partirons pour notre grand voyage,
« Il nous faudra choisir, un beau matin d’été.
« Si je vois le soleil j’aurai plus de courage
« Pour tenter l’aventure et pour tout affronter.

« Si l’horizon sourit, s’il m’offre l’espérance
« Je pourrai m’arracher à ceux qui me sont chers,
« Peut-être! Je saurai quitter le ciel de France
« Et braver avec vous tout l’inconnu des mers

« J’irai, je monterai sous l’azur à la proue
« Pour m’étourdir à voir tournoyer les oiseaux
« Et, pour sécher mes pleurs, je tendrai chaque joue
« Aux baisers des soleils et des souffles nouveaux! »

Est-ce vous qui parliez ainsi, ma pauvre amie?
Est-ce vous qui craigniez les départs hasardeux?
Qui souhaitiez de voir planer sur votre vie
Un soleil toujours pur dans un ciel toujours bleu?

C’est vous ! Et cependant c’est vous aussi qui, seule,
Dans une nuit d’hiver, sans prononcer un mot,
Avez fui, comme un grain qui glisse sous la meule,
Sans laisser rien de plus qu’une ombre en un tombeau.

Qu’était notre voyage auprès de ce voyage!
Hélas! Vous avez pris le chemin sans retour,
Vous avez dédaigné les changeants paysages,
Préférant gagner droit le suprême séjour.

Ah! puisque vous aimiez l’azur et la lumière,
Contemplez dans la paix le soleil des soleils
Et du terme que vous connaissez la première
Montrez-moi le chemin des rivages vermeils !

1925.

 

LES ÉTOILES

Les étoiles sont des fleurs
Qu’on ne respire qu’en songe.
Rien ne ternit leurs couleurs.
Nulle abeille ne s’y plonge.

Elles brillent loin de nous
En d’invisibles prairies.
Comme leur éclat est doux
On croit qu’elles nous sourient.

Elles charment les enfants
Comme les lis et les roses,
Elles troublent les savants
Qui savent bien peu de choses !

Nous voyons, quand nous passons,
Mourir les fleurs dans les plaines
Et là-haut les astres sont
Les témoins des morts humaines !

 

ÉVEILS

A M. et Mme Guézennec.

Le ciel est rose et bleu. Soudain une sirène
Retentit, toute proche. Une autre plus lointaine,
Puis d’autres… Des sifflets, divers bruits égrenés,
Des cloches. Je me dis : sept heures vont sonner.
Un rayon frais et vif entre par une fente.
Et puis c’est une voix douce et vague qui chante..
Les faits se déroulaient comme un scénario.
Je rêvais de Paris et j’étais à Tokio!

Aujourd’hui dans ma chambre aux murs chargés de livres
Un petit rayon roux, d’une couleur de cuivre,
Se glisse… Des sifflets, des roulements lointains,
Des cloches à travers la brume du matin,
Enfin de tous côtés les appels des sirènes.
Je rêve de Tokio sur les bords de la Seine !

 

PRINTEMPS JAPONAIS

Les cerisiers en fleurs ont blanchi les collines,
Une écume légère a comblé les vallons
Et les branches ont mis de molles mousselines
Sur l’épaule des murs et le front des maisons.

Les sentiers ont couru sous des voûtes neigeuses
Et dans le parc du temple antique et renommé
Sont venus se mêler aux chansons des mousmés
Mille bourdonnements d’abeilles butineuses.

La lune, l’autre nuit, se glissant au travers
De l’enchevêtrement des bouquets entr’ouverts
Traçait à l’infini des dessins sur les dalles.

Mais les vents ont soufflé tout à coup ce matin
Et maintenant plus rien ! Plus rien dans le jardin
Qu’une enfant qui balaie à grands coups des pétales !

 

ESTAMPE MODERNE

Dans la rue animée aux boutiques légères,
Avec leurs grands frontons couverts de caractères,
Leurs enseignes et leurs lanternes de papier,
Trois femmes s’en allaient allègrement à pied.
Au centre une étrangère, en robe couleur fraise,
Et puis à ses côtés, en bleu, deux Japonaises
Avec le kimono d’été et les guétas (1).
La première parlait, levant un peu le bras,
Les autres se hâtaient et disaient : « oui, madame! »
Et toutes trois riaient comme savent les femmes.
Le petit chapeau blanc, serrant les cheveux courts,
Se tournait vers les deux voisines tour à tour
Et l’on voyait, à droite, à gauche, une ample manche
Flotter, comme un bouquet formé de grappes blanches.
Les trois femmes allaient, et partout sur les seuils
Les marchandes debout les escortaient de l’œil.
Les campagnards tardaient à reprendre leur route
Et secouaient la tête avec un air de doute,
Et des bandes d’enfants, pareils à des moineaux,
Les suivaient, nez en l’air, sans échanger un mot.
C’était le soir. Le ciel avait des couleurs douces.
Des nuages menus formaient comme une mousse
Et j’aimais à saisir le gracieux accord
De ces femmes riant sous un long rayon d’or.

(1) Socques de bois.

 

SUPER LITTORA

A Charles Le Goffic.

Pour mieux songer à vous, Le Goffic, noble Maître,
l’ai quitté les tableaux qui bornent ma fenêtre,
Les petites maisons de bois, les pins tordus,
Le temple rouge avec ses papiers suspendus,
Le chemin plein d’enfants aux robes à ramages,
Et j’ai marché tout droit, tout seul, vers le rivage.

Déjà le grondement des vagues sans repos
Me parvient ! Oh ! déjà l’odeur âcre des flots!
Une dune à gravir et voici, bleue et verte,
L’immensité mouvante à tous les cieux offerte!

Oui, Maître, c’est ici, les pieds dans les galets
Ou bien sur un vieux roc usé, que je me plais
A me représenter votre image vaillante.
Je vous entends parler devant la mer montante,
Te vois votre manteau battre et je suis près de vous
En rêve, à Trégastel, Perros ou Trestraou.

Pour les Bretons la mer est toujours une amie.
Qu’elle soit en fureur, qu’elle semble endormie,
Elle apporte à chacun des souvenirs d’Armor.
Cependant les flots verts font pour moi plus encor
Puisque avec le pays, que souvent je regrette,
Ils m’évoquent son barde aimé, son cher poète !

 

SOIR D’ÉTÉ DANS LE HONDO

Caresse des beaux soirs ! Baume des heures lentes!
Délices de l’air frais qui coule entre les pins!
Tous les buissons de thé brunissent sur les pentes
Mais le Foudji-Yama rougit dans le lointain.

Des enfants, crâne ras, pieds nus, en robes claires,
Jouent en se bousculant sur le chemin pierreux
Et déjà dans la plaine aux milliers de rizières
Les petites maisons s’étoilent d’humbles feux.

Caresse des beaux soirs ! Baume des heures calmes!
Les odeurs des jardins semblent s’épanouir.
Un bosquet de bambous dresse ses fines palmes
Immobiles. Le jour achève de mourir.

Les hommes sont pensifs, les femmes vont et viennent.
Le vieux Temple bouddhiste agite un tambourin.
Là-bas, la cloche tinte à l’église chrétienne…
Ceux dont la tâche est faite aiment les soirs sereins.

Soudain, charme imprévu dans ce cadre exotique,
Un piano commence un beau chant familier
Et la douceur des soirs qu’évoque sa musique
A celle de ce soir nouveau vient s’allier.

Des passés bien lointains, bien aimés se composent
Avec l’heure qui coule à présent sous mes yeux..
O pureté du ciel ! O clémence des choses !
Enchantement des soirs d’été sous tous les cieux !

 

LE PALAIS IMPÉRIAL A TOKIO

Comme au milieu du fruit qui se gonfle au soleil
Et qui fait admirer ses couleurs éclatantes,
On découvre un noyau, dans un demi-sommeil,
Pensif, pesant, secret, sans souillure ni fente,

Comme sous le plastron du guerrier au combat
Veille le cœur, le cœur qui palpite, invisible,
Qui mène tout de loin, qui règle chaque pas
Et sans qui le héros ne serait qu’une cible,

Dans la grande cité qui s’agite et s’étend
Avec ses trains, ses bruits, ses foules, ses musiques,
Ses carrefours houleux, ses temples pleins d’encens,
Ses écoles, ses parcs, ses milliers de boutiques,

Un lieu demeure calme, égal, silencieux,
Entouré de respect et voilé de mystère,
Élevé comme un front de sage vers les cieux,
A la fois clef de voûte, égide, sanctuaire.

C’est le Palais, gardé dans ses cercles de murs
Dont les porches béants sur l’azur se profilent
Mais où nul ne pénètre avec des pas impurs,
Ile incommensurable entre toutes les îles.

Avec ses fossés verts et ses larges talus,
Ses frontons incurvés chargés de bronze antique,
Ses grands pins surplombants et ses jardins touffus,
Entre tous les trésors, c’est l’Emeraude unique.

C’est le centre attentif, agissant, méditant,
Ceint de traditions comme un arbre d’écorce,
Soutenant l’avenir, appuyé sur le temps,
Miroir sacré, pilier divin, suprême force !

 

A LA VICTOIRE

Désertais-tu, Victoire, encore un coup, hélas !
Non, elle attendait l’heure inconnue et voilà
Que son front ceint d’une auréole
Surgit ! Une rumeur immense ébranle l’air,
Une ivresse idéale emplit ce jour d’hiver.
Elle vient à nous ! Elle vole !

Comme ses ailes font palpiter les drapeaux !
Comme les derniers cris des obusiers brutaux
S’arrêtent court à son approche !
Son sillage éblouit les aigles dans le ciel,
Elle avance au milieu d’un chœur surnaturel
Fait de la voix de mille cloches.

Viens, à Libératrice ! Ouvre la porte d’or !
Viens, ton nom est si beau qu’on n’ose pas encor
Le faire acclamer à la terre !
Viens, vengeresse aux yeux scintillants de courroux,
Viens, consolation ! viens, attente de tous,
O Radieuse, Ô Tutélaire !

C’est toi qui sur les jours noirs de cendre et de sang
Dresses de l’avenir le porche éblouissant,
C’est toi, douce, qui nous rapportes
La faucille, la rame et la plume ou l’archet,
Toi qui tires de l’ombre où l’horreur les cachait
Tant de grâces qu’on croyait mortes!

Salut donc, Équitable, habile à marier
L’olivier bienfaisant avec le fier laurier!
Seule, tu joins force et justice,
Tu peux seule au mérite égaler le succès,
Toi qui nais de la guerre affreuse et qui la hais,
Victoire Pacificatrice!
Contrains le destructeur à relever nos murs,
Fais monter à nouveau dans le ciel des soirs purs

La fumée aux molles spirales,
Victoire, ressuscite Arras et ses piliers
Comme Ypres la Flamande et sa Halle aux drapiers
Et Reims avec sa cathédrale !

Achève tes bienfaits, demeure parmi nous !
Qu’en traçant le sillon chacun te voie au bout
Lui faire un signe d’espérance.
Ne nous laisse oublier ni l’ordre harmonieux,
Ni l’approbation secrète des aïeux,
Ni la fierté d’être de France.

Aux rumeurs du travail se mêleront des chants
Qui diront à nos fils, aux fils de nos enfants
Combien fut belle ta venue !
Puis nous évoquerons en abaissant la voix
La mémoire de ceux qui souffrirent pour toi
Et qui ne t’auront point connue!

Règne, Triomphatrice au regard azuré!
Les moissons vont renaître en nos champs déchirés
Et les cœurs que le deuil accable
Connaîtront, grâce à toi, de meilleurs lendemains.
Toi seule adouciras le reste du chemin
Pour les mères inconsolables.

 

POÈMES A LA MANIÈRE JAPONAISE

L’hiver est fini.
Dans le parc, en fait de neige,
Il n’y a plus que les cygnes.
*
* *
Sur le poteau de télégraphe
Un gros corbeau
Et par derrière, dans le ciel,
Le Foudji blanc !
*
* *
Un soldat avec tout son équipement
Monte dans l’autobus étroit.
La receveuse l’aide
Et, pendant un instant, c’est une jeune fille
Qui porte le lourd fusil de guerre.