Dans le monde de l’ambient et du drone, depuis la fin des années 2000, Rafael Anton Irisarri propose un voyage avec vue sur des paysages sonores denses et panoramiques (dense [and] panoramic soundscapes). Originaire de Seattle (Washington, États-Unis), Rafael Anton Irisarri semble s’être nourrit à la fois des précurseurs du minimalisme classique (Satie, Debussy), mais aussi du shoegaze qui lui est un peu plus contemporain. Son travail de production fait penser à celui de Kevin Shields (My Bloody Valentine). Le pont entre les deux mondes est symbolisé par Robin Guthrie, qui oeuvra à la production de Cocteau Twins et travailla plus tard avec Brian Eno. Les nombreux liens proposés viendront jalonner le parcours riche d’Irisarri. Son œuvre est qualifiée de « post-minimalisme », si tant est que cette appellation ait une définition claire.
Ce piano tourmenté accompagné de bruits clairsemés constitue les débuts musicaux d’Irisarri. Hope and Past Desires annonce déjà son attrait pour les guitares, les sons ambiants ainsi que les instruments classiques, sollicités dans une perspective minimaliste. L’écho des arpèges témoigne d’un attrait pour le saupoudrage électronique.
Le deuxième EP d’Irisarri, également intitulé « Reverie », définit également son parcours vers un minimalisme onirique, où le piano seul ne suffit plus à installer une ambiance post-fin-du-monde. La légèreté des notes de piano s’accompagne de nappes dissonantes discrètes.
Sur son deuxième album, la partie électronique submerge celle qui s’était construite sur de rares instruments acoustiques, à l’image du premier titre, « Passage », dont les synthétiseurs viennent renforcer la profondeur et la gravité du morceau à partir de 3:30 min. D’ailleurs, ce titre fait inconsciemment penser au long morceau d’ambient composé par Chris Spheeris & Paul Voudouris.
Le nom d’Irisarri apparaît aussi sur des compilations, notamment celle ci-dessus, démontrant son goût pour le piano contemplatif. Ce morceau, lointain cousin des Gymnopédies le situe comme disciple d’Erik Satie, alors qu’il avait déjà eu l’occasion de lui rendre hommage en reprenant l’une de ses Gnossiennes.
Au-delà d’un ambient épuré donc les sonorités tendraient vers quelque chose de léger, la production d’Irisarri propose de lents et massifs explorations sonores. Un mur de bourdonnements vient envahir progressivement la discographie d’Irisarri. Il ne cherche plus à conjuguer les émanations industrielles avec l’acoustique minimaliste. Cette fois-ci, le drone a fini par prendre le dessus.
A Fragile Geography est l’un des albums les plus puissants de Rafael Anton Irisarri. C’est celui-ci qui a fait bondir sa popularité, et c’est également à travers celui-ci que j’ai pu découvrir sa musique. Le morceau Empire Systems est, en quelque sorte, le parangon de sa musique. On y trouve tous ses talents de producteurs, la superposition progressive de bourdonnements qui étouffent le son sans pour autant le saturer : comme si on contemplait une série de grandes vagues sans pour autant se faire emporter par elles.
Prolifique, Irisarri fait paraître une production par an depuis 2015. On y retrouve toujours cette atmosphère eerie, hantée et tiraillée, où chaque morceau est un prétexte à l’expérimentation des textures. Ainsi, il appartient à chacun de découvrir les autres albums qui composent sa discographie.
Loin de se contenter d’une carrière solo, Irisarri fit initialement parti du groupe The Sight Below, formé en 2008. Deux ans plus tard, il forma Orcas, en duo avec le Français Benoît Pioulard. Cette collaboration accoucha de deux albums électro-acoustiques, parfois bercés par la voix mélancolique du second membre.
On retrouve aussi Irisarri auprès de compositeurs ambient déjà bien installés, notamment le canadien Loscil. Sur cet album, Irisarri procède au mastering et prouve sa capacité à signer et validé la production sonore de collègues dont la production musicale demeure similaire.
Pourtant, il lui arrive également de proposer ses services de mastering à des projets musicaux acoustiques, notamment celui de la Finlandaise Lau Nau : j’en parle plus en détail ici. Également aidée du Suédois Matti Bye, elle signe ici une impressionnante suite de morceaux électro-acoustiques aux sonorités scandinaves, rappelant étrangement Erik Enocksson et son travail que nous évoquions dans un autre article.
Dans un registre un peu plus électronique et expérimentale, on le retrouve sur un album du Polonais Jacaszek, sorti en 2017.
Toujours aussi intéressé par le mastering d’albums de musique électronique, sa collaboration avec Steve Hauschildt montre son intérêt pour l’Intelligent Dance Music, plus proche des productions rythmées et donc moins lancinantes que ses propres productions.
Enfin l’un de ses derniers travaux de mastering en date mêle glitch, harpe et sons électroniques qui finissent par s’entrechoquer à la fin du second morceau de l’album :
Ainsi, l’enjeu n’est pas de catégoriser la musique produite par Rafael Anton Irisarri, mais d’admirer sa complexité, le rythme soutenu de ses parutions ainsi que la diversité de ses collaborations. Pour ces trois qualités, Irisarri se distingue comme étant l’un des producteurs de musique électronique les plus féconds des années 2010, et sans doute des années 2020.
Edit avril 2023 : je réalise que l’album Ens de Beast (2018) a été mastérisé par Irisarri :
Alexandre Wauthier