Les imperméables Parlo (#37)

Il m’arrive de retrouver des images sans aucun contexte, dans un dossier perdu de mon ordinateur. S’offre alors à moi une archéologie des médias durant laquelle j’essaie de me souvenir dans quel contexte et à quelle fin ces documents sont arrivés jusqu’ici, à cette date spécifique. Le contexte, toujours le contexte. Et lorsque je souffle sur la poussière numérique d’une relique pourtant encore jeune, je redécouvre quelques sources inépuisables d’articles à écrire sur ce site internet. L’objet d’aujourd’hui est une photographie de photographie. Prise en octobre 2020, elle immortalise une partie de la photographie originale. Il s’agit d’une autochrome, photographie nativement en couleur, prise dans une rue de Paris. Il s’agissait, de mémoire, de l’une des rares expositions à laquelle j’ai pu assister durant cette année mouvementée. L’exposition en question s’intitulait « Paris 1910-1937. Promenades dans les collections Albert-Kahn » (on voit d’ailleurs subtilement le cliché qui m’intéresse sur la 3ème diapositive du lien de l’exposition proposé ci-avant). Elle s’est tenue du 16 septembre 2020 au 5 juillet 2021 à la Cité de l’architecture & du patrimoine. Découvrir et parler de ce cliché sans plus de contexte serait fallacieux : j’ai déjà découvert et étudié quelques pièces du trésor que constituent les Archives de la planète ; à l’occasion de mon troisième article (Archives parisiennes de la planète), ainsi que du vingt-huitième (Albert Kahn’s colourful Paris). Cette exposition ne m’était donc pas inconnue, et les sujets regorgent d’intérêt pour qui peut avoir l’âme d’un ethnologue.

Frédéric Gadmer, « Maison borgne au n°7 rue du Pélican », octobre 1920, Musée départemental Albert-Kahn, A 24 079 S, photographie personnelle, 18 octobre 2020.

Ce qui m’avait frappé, c’est que ces photographies en couleur restituent la manière dont les rues de Paris étaient parcourues et elle-même, colorées. En dépit de l’illusion faisant croire que les voies sont vides (le temps de pose étant long, il valait mieux attendre que personne ne soit face à l’objectif, à moins que la pose soit volontaire et, donc, travaillée, mise en scène). Les murs parisiens sont là, ornés de publicités en tout genre. Ces dernières ont parfois des codes couleur vifs. On apprend ce qui est consommé il y a un siècle et comment le marketing était visuellement assuré. Au-delà de cet aspect brut et documentaire, ces photographies constituent un témoignage précieux ainsi qu’une mise en abîme de l’histoire des images : la photographie documente les affiches qui ne nous sont pas parvenues, ni dans les vieux greniers ni dans les centres d’archives. Plus encore, l’autochrome restitue un regard authentique grâce à la couleur originelle transmise par les grains de fécule colorés.

Maximilien Luce, La Rue Mouffetard (détail), 1889-1890, huile sur toile (Holliday Collection, Indianapolis Museum of Art)

Avant la photographie en couleur, qui n’arrive qu’à la fin des années 1910 grâce à l’autochrome, il y avait certes la colorisation sommaire après prise de vue, dont le panel de couleurs était généralement réduit et anachronique. Autre médium : la peinture, avec notamment Maximilien Luce et son tableau ci-contre La Rue Mouffetard, dont le divisionnisme rend compte de la couleur des affiches publicitaires. Ces couleurs vivantes qui jalonnent les rues de la capitale sont précieuses et d’autres autochromes du fond Albert Kahn témoignent de leur richesse créative.

A7473, Auguste Léon « Angle de la rue de l’ École-de-Médecine et de la rue Hautefeuille », juillet 1914, Musée départemental Albert-Kahn.

Elles accompagnent une croissance démographique et un changement d’habitudes dans la société : l’urbanisation concentre les besoins et les services, dans cette même ville, l’information circule dans ses rues, l’œil du passant étant accroché par l’affiche qui sera la plus remarquable.La base de données du musée Albert-Kahn propose les mots-clés « Affiche » et « Publicité » pour étayer les recherches sur le sujet. La plupart du temps, les affiches sont prises en photographie volontairement lorsqu’il s’agit d’élections ou de les campagnes d’emprunt national de la Première Guerre mondiale. Toutefois, je préfère m’attarder sur les clichés plus quotidiens des affiches de marques courantes telles qu’elles étaient assimilés aux habitudes de vie urbanistique. On trouve d’autres exemples, toujours à Paris avec cette autochrome d’une maison borgne située au n°32 rue Blondel, ou bien au Canada, avec une affiche Coca Cola prise en 1926 à Moose Jaw le 6 mai 1926.

A 24 079 S, Musée départemental Albert-Kahn, détail de la photographie.

La photographie qui m’intéresse – qui nous intéresse, j’espère – a été prise par Frédéric Gadmer, opérateur d’Albert Kahn, en octobre 1920. La légende d’origine indique que le cliché représente une « maison borgne » (des bordels, donc) située au 7, rue du Pélican, très ancienne voie du premier arrondissement. Il ne s’agit pas de l’unique photographie de ce type : Frédéric Gadmer en a réalisé un peu plus de cent en 1920 dans la capitale. Il s’agissait probablement de recenser les lieux de prostitution. Cette activité dépasse vraisemblablement la demande documentaire d’Albert Kahn, et est sans doute motivée, après guerre, par une mission publique, en lien avec les enjeux d’hygiène de l’époque ? Quoi qu’il en soit, ces lieux de prostituions sont documentés, et certaines photographies de leurs devantures montrent une certaine créativité, avec par exemple celle de la rue Blondel. Ne nous éloignons pas trop du sujet ! D’autant plus que j’adore faire ça, c’est pourquoi j’ai remis ci-contre le détail de la photographie montrant une réclame pour les imperméables de la marque Parlo. Un homme, coiffé d’un scaphandre et vêtu du vêtement de la marque, semble marquer tranquillement en eaux profondes, sous le regard interloqué ou menaçant des habitants des mers : des poissons ou requins rouges. La publicité est percutente, les couleurs suffisament différenciées et le message simple pour que la compréhension soit immédiate et assimilée de manière humoristique. Une adresse est mentionnée, ce qui facilite grandement les recherches bibliographiques, d’autant plus que la rue de Turbigo, qui concentre de nombreux commerces, se retrouve aisément dans les almanachs parisiens édités chaque année.

Mais avant cela, cette affiche a-t-elle survécu au temps pour être visible dans un lieu de conservation, quel qu’il soit ? Il semblerait que non, malheureusement. Sur trois sites de vente, on trouve trace de Parlo : sur le site Collecte-jfm, une carte postale datant certainement de la même époque, après guerre, ainsi qu’une autre carte postale sur Delcampe, cette-fois ci datant de la Grande Geurre et montrant des soldats. Sur Ebay, on trouve un publicité imprimée, qui a provient probablement d’un journal et a été découpée. Elle nous informe qu’une publicité pour Parlo existait dès 1917, et que les imperméables étaient en vente aux magasins de la Jeune France, situés au 13 avenue des Ternes, à Paris. À part ça, Parlo, c’est quoi ? Une marque certes, mais qui est derrière, quand a-t-elle pu apparaître ? Comme nous le laisse penser cette seconde carte postale évoquée, la Première Guerre mondiale semble avoir favoriser l’émergence de cette marque de manteau imperméable, vêtement aussi appelé trench-coat, littéralement « manteau de tranchée ». Initialement, c’est le tailleur britannique Thomas Burberry qui a réalisé les premiers modèles, pour l’armée britannique, bien que la marque Aquascutum en revendique également le titre, dès les années 1850. Quoi qu’il en soit, l’élément décisif fut l’invention de la gabardine en 1880 par le groupe Burberry et brevetée 8 ans plus tard. Ce tissu permet de se protéger de la pluie, de maintenir le corps au chaud tout en évitant de trop transpirer, à l’inverse du serge utilisé jusqu’alors, qui était d’ailleurs plus lourd. Parallèlement à cette maîtrise de matériau de fabrication, Burberry s’était déjà inspiré du design des manteaux d’officiers britanniques pour concevoir le manteau long et imperméable.

Burberry utilise sa marque comme partenaire d’expéditions polaires, comme Roald Amundsen en 1911, ou bien Ernest Shackleton en 1914, mais c’est la Grande Guerre qui va véritablement populariser le trench-coat, aussi appelé Burberry outre-Manche, évidemment. Ils habillent les troupes de l’armée britannique et le conflit tend à populariser ce vêtement et cette matière, tant la guerre de position stabilise le front dès 1915 et embourbe les soldats dans les tranchées. Thomas Burberry avait déposé un brevet de fabrication pour la gabardine en 1880. Ce brevet courait jusqu’en 1917, date à partir de laquelle il ne bénéficierait plus  du droit de fabrication exclusif. Ainsi, comment la fabrication passe-t-elle de Burberry à Parlo ? Difficile à dire ; l’information industrielle circule rapidement, le contexte de guerre incite à équiper rapidement les troupes selon les besoins. Toujours est-il que la première mention de Parlo trouvée dans Gallica apparaît le 26 septembre 1915 dans le journal L’Intransigeant. Un rectangle de publicité fait mention d’un « IMPERMEABLE « PARLO” pour SOLDATS. — Léger. Souple. Incassable », accompagnée d’une liste de tarifs et conclue par l’information « Envoi franco mandat P. DUFFO, 48. R. Turbigo. Paris ». Beaucoup d’indices, déjà ! En octobre 1915, l’hiver arrive et la publicité pour Parlo irrigue les journaux : le 2 octobre, puis le 11 octobre dans le Journal, le 14 octobre dans le Petit Parisien et le 20 octobre, à nouveau dans le Journal et le 24 octobre dans Le Siècle. Dans la deuxième mention, un article intitulé « Protégeons nos soldats » propose le paragraphe suivant :

« Si le soleil de la victoire inonde de ses rayons le cœur de nos troupiers, il faut néanmoins songer qu’octobre traîne avec lui son cortège de pluies et de brouillards et qu’il importe de protéger nos défenseurs contre les frimas et l’humidité, aussi redoutables que les marmites boches. Aussi, est-ce le moment de signaler aux familles l’Imperméable « Parlo » caoutchouté, la plus remarquable création qui ait été réalisée pour nos soldats » (source)

Cette formule résume, à elle seule, la raison qui explique l’ascension fulgurante de la marque. Jean d’Yvelet, auteur régulier de billets ventant les mérites de Parlo, présente le paletot imperméable à double usage comme « Souple, élégant, léger, d’une imperméabilité absolue, il peut indistinctement se placer sur la vareuse ou sous la capote, permettant ainsi au militaire, quelle que soit la tenue prescrite, de ne jamais s’en séparer et de pouvoir supporter sans aucun dommage les intempéries les plus redoutables. » (source). Victime de son succès, la marque de Pierre Duffo ne peut honorer commande qu’après une attente de 8 jours au moins pour qui le contacte grâce au Journal, dont l’édition du 20 octobre présente la pèlerine-capuchon de 1,2 m de long, son prix étant « de 24 francs [et] ne pourra être maintenu au delà du 1″ novembre, à cause de l’augmentation de la matière première. M. Duffo ne fera d’ailleurs de majoration de prix qu’à son corps défendant, car cette maison française n’a jamais entendu profiter des circonstances pour réaliser des bénéfices », une manière de montrer sa vertu et de participer à l’effort de guerre (source).

Le Gaulois, 17 décembre 1915, Paris (Gallica)

À la fin de l’année 1915, Jean d’Yvelet réitère avec une histoire autour de la marque, dont la narration proposée ci-contre, à gauche, prouve que l’intention était d’insuffler au lectorat une immersion par le verbe : « La pluie, je m’en f… pas mal j’ai mon Parlo ! ». Le public visé est explicitement nommé en fin d’article : en plus du manteau imperméable – notamment le modèle Raglan figuré dans l’article – , est proposé « Le gilet, avec ou sans manches, absolument impénétrable à l’air, et les chaussons en tissu « Parlo » complètent l’équipement confortable du « Poilu », qui peut ainsi défier les températures les plus sibériennes et les trombes d’eau les plus diluviennes. »

Un an plus tard, à la fin de l’année 1916, nouvelle offensive de publicité pour la marque Parlo dans la presse : une apparition en mars et en avril dans le Bulletin de la Ligue anti-allemande, puis dans Le Matin le 6 septembre 1916, dans La Presse le 21 novembre 1916 et enfin dans La Liberté, 17 décembre 1916. Un an après, Parlo profite des jours pluvieux pour couvrir les journaux de publicités. La presse de guerre et la presse adressées au grand public sont sollicitées. Les années 1915 et 1916 ont été décisives pour la marque. Elle figure dans les journaux certes, mais aussi dans les programmes de théâtre, comme celui de l’Alhambra, à Paris.

Fait intéressant, le journal Le Front, ayant pour sous-titre exclusivement illustré et rédigé par les poilus de l’avant, consacre dans ses éditions des 1er et 16 septembre 1916 le bas de sa Une à Parlo :

 

Le Front, Une du 16 septembre 1916 (Gallica)

Toujours le même discours : le mérite de la marque est vanté par son côté pratique en temps de guerre, mais aussi lors d’exposition à des conditions rudes, mais différentes : à bord d’une automobile ou à bord d’un avion. Néanmoins, le vêtement sied en définitive au soldat engagé dans la Grande Guerre plus qu’à quiconque. Le catalogue proposé par Pierre Duffo est, à en croire la fin de l’article, « le véritable vade mecum du poilu ».  Parlo est présentée à la Foire de Lyon en mars 1917 (Le Petit Parisien) en 1919 (Le Petit Parisien, L’Œuvre) et en 1920 (L’Écho de Paris).

L’Écho de Paris, 5 mars 1920, Gallica

Qui est ce Pierre Duffo, à l’origine de Parlo ? Bien évidemment, la presse est un puissant instrument pour faire connaître tant la marque que son créateur. Dans le numéro de l’Écho de Paris paru le 5 mars 1918, une photographie de lui illustre un article dans lequel il se fait interviewer. On y apprend d’ailleurs qu’outre le magasin historique de la rue de Turbigo, Parlo en disposait d’un autre au 21, boulevard Montmartre. Pierre Duffo évoque le succès de sa marque, axé à la fois sur le pratique, mais aussi sur l’esthétique. Autre fait relaté intéressant : il affirme que les imperméables étaient, jusqu’alors, des vêtements d’importation, et que Parlo en a fait un vêtement français, tant pour les hommes que pour les femmes, en gabardine ou en caoutchouc. Il reste difficile d’établir l’origine de ces deux matériaux pour fabriquer les imperméables Parlo. Si la fabrication du caoutchouc synthétique était maîtrisée par les entreprises allemandes, la France en faisait fabriquer sur son territoire continental ainsi qu’en Indochine et l’exploitait en France depuis plusieurs décennies, à l’image des frères Michelin avec les ventes de pneumatiques.

L’Écho de Paris, 4 mars 1919 (Gallica)

Après avoir étudié la presse d’époque et trouvé quelques informations biographiques, vient alors le moment où les archives prennent le relais pour trouver d’autres éléments. Pierre Duffo est né à Montréjeau (Haute-Garonne) le 19 juillet 1874 (AD31, 2 E IM 972 – Montréjeau. 1 E 23 acte 103) d’un père cafetier dans la même ville. En juin 1904, lorsqu’il se marie, il exerce, avec sa mère, la profession de chapelier. Son épouse, Alphonsine Virginie Deschamps, est, quant à elle, couturière (Archives de Paris, 17ème arr., 1904, acte 958). Sur cet acte de mariage figure une note ultérieure informant que celui-ci a donné lieu à un divorce lors d’un jugement du tribunal de la Seine tenu le 31 mars 1909. Le divorce des époux était assez rare à l’époque. Il était donc célibataire pendant la Grande Guerre, plusieurs années durant lesquelles il a mis sur pied la maison Parlo. Le 19 août 1918, toujours pendant la guerre, Pierre Duffo se remarie à la mairie du 4ème arrondissement de Paris, avec Hélène Augustine Remise. Il habite alors au 68, rue de Rivoli (Archives de Paris, 4ème arrondissement, 1918, acte 627).

Parution de publicités dans les journaux le 4 mars 1919 (Capture d’écran Retronews)

Après la guerre, Parlo effective sans mal sa transition pour attirer un public revenu à la vie civile : l’aspect esthétique survit à l’aspect pratique, si bien que la publicité continue de plus belle, avec des vagues de promotions dans la presse que les moteurs de recherche de Retronews mettent en avant ci-dessus et ci-après.

Parution de publicités dans les journaux le 5 mars 1920 (Capture d’écran Retronews)

Les Années folles constituent un nouveau défi commercial : la France est en pleine reconstruction et les vêtements sont de plus en plus disponibles dans les grands magasins des villes. L’imperméable ne sont plus dans un contexte d’urgence, mais fait désormais office de bel apparat protégeant des averses. Dans l’article visible ci-dessus à droite, en mars 1920, Pierre Duffo évoque ce changement conjoncturel entre le commerce en temps de guerre et celui en temps de paix :

« Certes, la période difficile n’est pas terminée, continue M. Pierre Duffo, mais il est certain déjà que l’énergie française a repris le dessus en s’inspirant de cet héroïsme montré par nos soldats pendant toute la campagne, héroïsme merveilleusement célébré par le maréchal Foch dans son splendide discours de réception à l’Académie française. Après cette intéressante, autant que réconfortante déclaration, on demande à M, Pierre Dufto quels sont ses projets d’avenir. — Le commerce des imperméables, répond-il, n’a pas atteint son apogée, comme se plaisent à le garantir certains industriels. J’estime, au contraire, que rien n’est moins exact. En ce moment où l’économie est un fait patriotique, l’imperméable correspond à ce besoin dans ce sens qu’il est pratique et d’un prix toujours très avantageux. » (source)

Comme l’évoquait Pierre Duffo lui-même en mars 1918 (voir plus haut), Parlo s’adresse au soldat de la Première Guerre mondiale, mais pas seulement. La marque propose une gamme féminine, probablement développée davantage à partir des années 1920. Dans la presse, on trouve une publicité singulière, visant exclusivement la gent féminine. En effet, dans le numéro de Les Modes de la femme de France paru le 8 octobre 1922, Parlo souhaite rhabiller un nouveau public pour l’hiver :

Néanmoins, la conjoncture change lors de la seconde moitié des années 1920. Déjà, le 16 mai 1926, Le Journal rapporte dans le contenu suivant : « Parlo informe sa clientèle parisienne qu’à partir du mardi 18 mai, pour cause de transformations, elle liquide et solde tous les manteaux, caoutchoucs, gabardines, covercoat, dames et messieurs, ainsi que pèlerines et chapeaux imperméables. Cette réalisation est faite à 40% de sa valeur ». Le Petit Parisien relaie également l’annonce de prix réduits le 5 juin 1926. C’était sans doute trop tard : le 20 novembre 1926, une réclame orne le coin supérieur gauche des colonnes du Quotidien, avec le jeu de mot du meilleur goût (non) :

Il ne s’agit probablement pas d’une conséquence immédiate à ce même jeu de mot, mais l’entreprise de Pierre Duffo est déclarée en liquidation judiciaire dans Le Temps du 29 janvier 1927. Des publicités encore, ça et là (L’Intransigeant, 21 mai 1927, L’Ami du peuple, 31 octobre 1929 puis 28 novembre 1930), occupent certaines colonnes de journaux. Les affaires ne s’améliorent pas tant et si mal que le sort de la maison Parlo en est scellé : les propriétaires du magasin dans lequel Pierre Duffo proposait ses ventes depuis ses débuts, au 48 rue de Turbigo, est résilié par ses propriétaires, apprend-on dans le journal La Loi, édité le 24 décembre 1931. L’absence de publicité dans les journaux est, d’une certaine manière, une preuve que les activités ont été difficiles. En 1932, Parlo n’apparaît que dans un annuaire des adresses parisiennes, toujours rue de Turbigo (Paris-adresses, 1932). On trouve une ultime mention simultanée dans les journaux L’Œuvre et L’Ami du peuple, dans leurs éditions datées 14 mars 1933. Elles reprennent toutes deux la liste des faillites établie par les jugements prononcés le 10 mars.

La disparition aussi soudaine que brutale de la marque Parlo montre que celle-ci n’a pas été en mesure d’adapter sa production à deux conjonctures très différentes : guerre et paix. Pourtant, il est indéniable qu’elle a considérablement popularisé le trench-coat en France. Reprenant des méthodes de fabrication initiées outre-Manche, Pierre Duffo a mis au point un vêtement dont il espérait, dès ses débuts, conjuguer l’usage pratique et l’usage esthétique. Marque incontournable des journaux et des rues de Paris pendant au moins une décennie, sa faillite l’a plongée aujourd’hui dans l’oubli. Pierre Duffo meurt à Paris le 11 février 1944, il était toujours domicilié au 68, rue de Rivoli (Archives de Paris, 12D 415, 12ème arrondissement, 1944, acte 643). Cet article a été un fil grâce auquel j’ai tiré beaucoup d’informations, à travers différents médias et outils de recherche. L’histoire se retrace, je ne pensais pas un jour m’attarder, indirectement, sur l’histoire de la mode. Il y a d’autres pistes à étudier davantage : les éventuels brevets de Duffo, le rôle du pouvoir public dans les commandes d’imperméables, ou bien, pourquoi pas, des lettres de  soldats évoquant la marque. La seule frustration reste la difficulté à retrouver des affiches commerciales d’époque. Il s’agit d’un objet d’étude très intéressant pour l’histoire visuelle.

L’histoire du trench-coat survivra à Parlo. En effet, la guerre relancera l’intérêt pour le vêtement : durant la Seconde Guerre mondiale, de nombreuses forces armées engagées dans le conflit portent cet imperméable : celles des États-Unis, d’Allemagne, du Royaume-Uni et de l’Union soviétique. La coupe était parfois raccourcie pour permettre une plus grande aisance des mouvements au combat. Après guerre, fort de cette diffusion renouvelée, l’imperméable effectue une meilleure transition commerciale en tant de paix qu’après la Guerre Guerre, si bien qu’il est un vêtement de mode diffusé au cinéma. On le retrouve ainsi dans la mode à travers les décennies jusqu’à aujourd’hui : de Burberry, qui a persisté, à Yves Saint Laurent après la Seconde Guerre mondiale et de Dior à Tommy Hilfiger de nos jours pour les collections masculines.

Alexandre Wauthier