Janine Niépce (#15)

Après Édith Gérin, il est désormais temps d’évoquer le parcours ainsi que les photographies de Janine Niépce (1921-2007). Jeanne Colette Aline Niépce est née le 12 février 1921 à Meudon (Hauts-de-Seine), elle a un lien de parenté lointain avec Nicéphore Niépce (1765-1833), qui n’est autre que l’inventeur de la photographie. Bien que ce terme n’était pas encore usité, la reconnaissance de ce brillant inventeur du « procédé héliographique » fut tardive en raison de l’ombre portée par la gloire de Louis Daguerre (1787-1851). Pourtant, c’est bien Daguerre qui, malgré une inventivité tout aussi déterminante pour l’histoire de la photographie, s’appropria les recherches ainsi que la postérité de Nicéphore Niépce peu avant sa mort.

La lessive sur le quai de la Saône, 1956

Bien que cette filiation soit avérée mais demeure éloignée, Janine Niépce est issue d’une famille de vignerons bourguignons. Son père dirigeait une fabrique de décors de cinéma et d’expositions. La crise viticole engendrée par le phylloxéra l’obligea à entreprendre un tour de France, reconverti en tonnelier-menuisier.

Une des premières femmes œnologues, 1991.

Après des années de travail, il fabriqua les premiers avions en bois de la Grande Guerre. Puis, dans ses studios situés à Boulogne-sur-Seine (Hauts-de-Seine), il créa les décors du film d’Abel Gance, « Napoléon » et ceux de « La passion de Jeanne d’Arc » de Dreyer. Janine fut orpheline de sa mère très jeune, à quatre ans (Squal Photographie). Cette proximité avec le monde du film à Boulogne explique le fait qu’elle ait pu assister à des projections de photographies en couleur dans la propriété boulonnaise du riche banquier Albert Kahn (1860-1940). En effet, dans son autobiographie Images d’une vie (Éditions de la Martinière, Paris, 2005), Janine Niépce évoque sa découverte des merveilleuses photographies capturées lors de missions à travers le monde. Aujourd’hui, la demeure du banquier abrite le Musée départemental Albert-Kahn. Janine Niépce évoque les projections auxquelles elle assistait en ces termes :

Ces projections accueillaient un public avant tout bourgeois et érudit, mêlant amis, associés et connaissances du banquier. Janine Niépce (1921-2007), qui devint photographe, relate ces évènements auxquels elle assista lorsqu’elle était enfant : « Connaissant mon goût pour l’image, on m’emmenait aux thés-projections de photos et de films au jardin Albert-Kahn à Boulogne. Des conférencières à la poitrine opulente, la taille serrée par des corsets rigides, coiffées de larges chapeaux à plumes commentaient ces images de la vie quotidienne dans tous les continents. C’était le résultat du travail des reporters qu’Albert Kahn, un riche banquier-mécène, rétribuait »

Jeanine Niepce, Marchande des quatre saisons Marché 13 boulevard Raspail. Paris, 1956 (Bibliothèque Marguerite Durand)

Elle obtient en 1944, une licence d’Histoire de l’Art et d’Archéologie à la Sorbonne et à la même époque développe des films pour la Résistance.

Dans les premiers HLM. Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), 1965

Sa passion pour la photographie apparaît au moment de ses études. Elle participe aussi à la Libération de Paris comme agent de liaison. C’est dans ce contexte qu’elle rencontre Claude Jaeger, alias le colonel Michelin, chef FFI de la Région Bretagne, qu’elle épouse en 1946 et qui deviendra un producteur de cinéma important à partir des années 1950. Elle divorce de Claude Jaeger après quelques années et épouse Serge Roullet (Wikipédia). Indépendante dans son métier naissant de journaliste reporter-photographe dès 1946, rare femme dans le milieu, elle échappe aux affiliations professionnelles ou stylistiques : «Le seul qui m’ait donné des conseils judicieux, pour être reporter, c’est Henri Cartier-Bresson. Il m’a dit qu’il fallait être dehors, se décharger des travaux techniques sur un laboratoire et avoir une agence» (Libération, Ange-Dominique Bouzet, 2000).

Jeune fille et la pilule contraceptive. Paris, 1967

Dès 1955, elle a eu l’opportunité de travailler pour l’agence Rapho, ce qui lui assura une certaine stabilité pour élever son fils tout en vivant de la photographie en France. Elle y restera jusqu’en 2010, puis elle signera avec l’agence Roger-Viollet. En effet, le terrain de prédilection immortalisé par l’objectif de Janine Niépce ; c’est la France de la deuxième moitié du XXème siècle. Toutefois, elle put photographier dans quelques pays étrangers dans les années 1950 (Japon, Cambodge, Inde, États-Unis, Canada). Inspirée par la photographie humaniste, la photographie de Janine Niépce dépeint la société français dans ses mutations, tant par son urbanisation que par les luttes politiques les plus diverses.

Étudiant et sa femme devant le Panthéon, 1966

Ainsi, lors des évènements de 1968, elle se fait passer pour une touriste étrangère afin d’être au plus prêt de l’immédiateté du mouvement. Durant la même période – notamment toute la décennie suivante –, elle photographie, de l’intérieur, les mouvements féministes en faveur de l’IVG, d’un accès plus étendu à la contraception ainsi que de l’égalité salariale entre les homme et les femmes. D’une manière générale, Niépce a suivi l’évolution de la condition féminine à travers un demi-siècle. Son travail montre aussi des scènes de vie quotidiennes immortalisées dans les logements sociaux d’après-guerre, incluant donc des photographies d’habitants récemment arrivés en France. Inspirée par la photographie humaniste, la photographie de Janine Niépce dépeint la société français dans ses mutations, tant par son urbanisation que par les luttes politiques les plus diverses.

Présentation des candidates aux élections de « Choisir », Gisèle Halimi (à droite), 6 février 1978

Ainsi, lors des évènements de 1968, elle se fait passer pour une touriste étrangère afin d’être au plus prêt de l’immédiateté du mouvement. Durant la même période – notamment toute la décennie suivante –, elle photographie, de l’intérieur, les mouvements féministes en faveur de l’IVG, d’un accès plus étendu à la contraception ainsi que de l’égalité salariale entre les homme et les femmes. D’une manière générale, Niépce a suivi l’évolution de la condition féminine à travers un demi-siècle. Son travail montre aussi des scènes de vie quotidiennes immortalisées dans les logements sociaux d’après-guerre, incluant donc des photographies d’habitants récemment arrivés en France.

Deux prêtres vêtus de leur soutane, 1961

L’œuvre de Janine Niépce a laissé place à de nombreuses expositions, publications et rétrospectives. Deux des plus récentes s’intitulent « La beauté est dans la rue ! » et « Une photographie française ».  Elles ont été réalisées à la galerie Polka, à Paris. Proposant une cinquantaine de clichés sur son site internet, la galerie alimente abondamment cet article. Il en va de même pour le site internet de la photographe, qui permet d’entretenir la mémoire de sa vie et de ses photographies. Une exposition de la Bibliothèque nationale de France portant sur la « Photographie humaniste (1945-1968) » a utilisé quelques clichés de Niépce. Enfin, plusieurs fonds patrimoniaux conservent les tirages de Niépce, dont la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, la Bibliothèque Marguerite Duras, Paris, le Musée des Beaux-Arts de Dijon, le Musée Nicéphore Niépce de Chalon-sur-Saône (elle participa à sa mise en place), le Musée Réattu d’Arles ou encore la Galerie municipale du Château d’eau, à Toulouse.

Elle fut élevée au rang de chevalière, à la fois de l’Ordre des Arts et des Lettres (1981) et de celui de la Légion d’honneur (1985). Janine Niépce meurt le 5 août 2007 à Paris à l’âge de 86 ans.

[Touristes ?] Asiatiques se faisant photographier devant des barricades à la Sorbonne, 25 mai 1968.

Photographie d’illustration : Paris, 1960 (Polka Galerie, La beauté est dans la rue!).

Photographies supplémentaires : Quatre jeunes garçons lisant le « Journal de Mickey », devant une école communale de garçons. Paris, 1953 ; Une viticultrice qui conduit son tracteur, 1967.

Alexandre Wauthier